Stablex : pourquoi Québec veut forcer l’agrandissement du site d’enfouissement ?

février 24, 2025

Le gouvernement Legault se lance dans une opération pour le moins inédite : imposer à la Ville de Blainville la vente d’un terrain hautement écologique à l’entreprise Stablex, spécialisée dans l’enfouissement de déchets dangereux. Derrière ce projet de loi taillé sur mesure pour une entreprise privée, un bras de fer s’engage entre le gouvernement, les élus locaux et les défenseurs de l’environnement. Enjeu officiel : éviter une rupture de service qui pourrait paralyser certaines industries et municipalités. Mais à qui profite réellement cette opération ? Eléments de réponse pour comprendre la situation avec un expert du domaine de traitement des déchets : Jean Fixot de Chimirec !

Stablex à court d’espace : vrai besoin ou prétexte ?

Installée à Blainville depuis 1983, Stablex traite des déchets industriels inorganiques qu’elle enfouit sur un terrain appartenant au gouvernement du Québec. Mais selon l’entreprise, le site actuel sera saturé d’ici 2027. La solution ? Construire une nouvelle « cellule » d’enfouissement. Or, plutôt que d’exploiter l’espace restant sur le terrain gouvernemental jusqu’en 2040, Stablex lorgne un lot voisin de 70 hectares appartenant à la Ville de Blainville. Seul bémol, ce terrain est enclavé dans la Grande Tourbière de Blainville, un écosystème exceptionnel protégé.

Blainville a refusé la vente, appuyée par un avis négatif du BAPE (Bureau d’audiences publiques sur l’environnement), qui estime que l’extension de Stablex dans cette zone serait une catastrophe écologique. Mais Québec, contre toute attente, passe en force et défend l’option la plus contestée.

Des déchets qui ne viennent pas tous du Québec

Stablex justifie son besoin d’espace par la quantité de déchets à traiter, à savoir 2,2 millions de tonnes sur la prochaine décennie, dont 59 % proviennent du Québec, 29 % des Etats-Unis et 12 % des autres provinces canadiennes. Un chiffre qui interroge : pourquoi le Québec doit-il sacrifier un site naturel pour gérer des déchets étrangers ?

Le gouvernement défend pourtant l’agrandissement en affirmant que le Québec exporte quatre fois plus de déchets industriels dangereux qu’il n’en importe. Mais le BAPE donne une version radicalement différente : entre 2019 et 2021, le Québec a importé en moyenne 302 200 tonnes de déchets dangereux par an, contre seulement 183 000 tonnes exportées. Un écart qui remet en cause l’argument de Québec et conforte ceux qui estiment qu’il suffirait d’arrêter d’importer les déchets toxiques américains pour régler le problème de saturation.

Le gouvernement prêt à forcer la vente d’un terrain protégé

La ministre des Ressources naturelles, Maïté Blanchette Vézina, assure que la situation est critique et qu’il faut agir rapidement pour éviter une rupture de service. Stablex brandit même une échéance urgente : si les arbres du terrain convoité ne sont pas abattus avant la mi-avril, la suite des opérations serait compromise. Un discours alarmiste que le BAPE ne partage pas du tout, car selon lui, la cellule d’enfouissement actuelle suffirait jusqu’au début des années 2030 et une nouvelle cellule sur les terrains gouvernementaux prolongerait l’activité jusqu’en 2040.

Alors pourquoi cette précipitation ? Pourquoi imposer un projet contre l’avis des experts et des élus locaux ? La réponse pourrait se cacher dans les intérêts économiques de l’entreprise et la volonté de Québec d’éviter un conflit avec des industriels qui comptent sur Stablex.

Opposition unanime des élus locaux et bras de fer politique

Blainville, soutenue par la Communauté métropolitaine de Montréal et la mairesse de Montréal Valérie Plante, dénonce un projet contraire à la transition écologique et d’un intérêt économique discutable. Selon Christine Labrie de Québec solidaire, la priorité ne devrait pas être d’agrandir Stablex mais de cesser d’accepter les déchets américains. Un avis partagé par une grande partie de l’opposition.

Face à ce tollé, le gouvernement devra user de la manière forte pour faire passer son projet de loi. Le Parti libéral, Québec solidaire et le Parti québécois ont annoncé leur opposition, et le chef de l’opposition officielle, Marc Tanguay, a déjà prévenu : le gouvernement devra recourir au bâillon pour imposer le texte avant la fin de la session parlementaire.